La Saga de Yacoubi

Depuis Marcel Duchamp, ce qu’on appelle « art contemporain » ou art actuel est tout ce qui permet

généralement à l’homme d’exprimer sa subjectivité sans parti pris ni formalisation académique. L’artiste cherche avant tout à satisfaire ce désir légitime de se surpasser par les moyens qu’il juge convenables et selon les occasions. Toute sa réussite dépend de la nature de son expression et des possibilités de sa réception.

Laissons donc de côté les habituelles évaluations qui avaient cours au siècle dernier, de même les interprétations comparatives (trop savantes) de l’histoire de l’art et parlons d’un artiste peintre marocain chez qui se révèle de prime abord la vieille notion de don, Abdellah Yacoubi, né à Fès en 1950 et résidant à Casablanca, qui n’a commencé à exposer et à faire parler de lui que dernièrement, mais pour qui le dessin, substrat fondamental de l’art, a été plus qu’une passion. Selon un communiqué de presse, Yacoubi expose actuellement à Moscou, jusqu’à fin novembre, dans le cadre d’un partenariat conclu entre l’ambassadeur du Maroc à Moscou et le champion international russe Anatoli Karpov, président et fondateur de l’association des Fondations de la Paix. Dans le même communiqué, nous lisons encore que Yacoubi, « à l’âge de 15 ans, a déjà décroché le Prix du concours national de Dessin, organisé par la Fédération des oeuvres Laïques au Maroc. Maintenant, il est un des plus titrés du royaume. Des œuvres de l’artiste se trouvent dans des centres d’art à Casablanca, dans des collections privées en Europe, dans les pays arabes, et au Maroc dont celles de la Famille Royale et de la Grande Bretagne. »

Ce profil préliminaire augure déjà d’une sensibilité à la création picturale, qui n’attendait que le bon moment pour s’épanouir.

En France comme partout en Europe, la culture de l’art est chose enracinée et elle fait communément partie du pain quotidien. En dehors des circuits traditionnels, la candidature à l’art sous ses nombreuses formes n’impose pas plus un test préparatoire qu’une prédisposition morale, et la formation dans ce domaine est multiple et libre. Ce qui est un acquis populaire d’importance, depuis que les précurseurs ont libéré l’art et l’ont sorti du carcan de l’académisme qui ne fait plus école.

Cette digression est pour souligner que, si Abdellah Yacoubi était en France, il aurait sans aucun doute fait la même chose que ce qu’il peint aujourd’hui au Maroc. Sa chance de créateur est de verser d’emblée dans l’universalisme, tout en puisant sa matière dans le terroir : couleurs nuancées, souvent chaudes, avec des alliages condensés ocre/jaune, bleu/rouge ; des clins d’œil figuratifs au patrimoine architectural et artisanal, une maîtrise de la perspective, des paysages allégoriques, qui évoquent le meilleur cru de l‘expressionnisme paysagiste français et que rehaussent des touches singularisant les contrastes. A travers ses personnages, Yacoubi s’approprie un art typique de la condition humaine dont il suggère la sentimentalité et affine par la couleur les connotations. On pourrait se demander si ces personnages ainsi rendus, une fois pris à part, ne sont pas les acteurs symboliques de quelque tragédie (ici fortement pressentie) et que les accessoires plastiques qui les accompagnent ne sont là que pour divertir, autrement dit détourner l’attention !

A n’en pas douter le travail d’Abdellah Yacoubi mérite une analyse plus approfondie ; il interpelle toutes les grilles de lecture, tant il est riche en significations. Narrateur d’une véritable saga, l’artiste ne laisse pas d’agréer par son style ouvert et la force tranquille qui s’en dégage.

Henri Fabiaire

Critique d’art

Novembre 2012, Paris.